auparavant Julie Mikhaïlovna était allée lui faire visite, mais n’avait pas été reçue.
— Du reste, c’était facile à prévoir, ajouta-t-elle en regardant effrontément la gouvernante.
Celle-ci n’y tint plus.
— Si vous pouviez le prévoir, pourquoi êtes-vous venue ? demanda- t-elle.
— C’est le tort que j’ai eu, répliqua insolemment la dame qui ne cherchait qu’une dispute, mais le général intervint.
— Chère dame, en vérité, vous devriez vous retirer, dit-il en se penchant à l’oreille de Julie Mikhaïlovna. — Nous ne faisons que les gêner, et, sans nous, ils s’amuseront à merveille. Vous avez rempli toutes vos obligations, vous avez ouvert le bal ; eh bien, à présent, laissez-les en repos… D’ailleurs, André Antonovitch ne paraît pas dans un état très satisfaisant… Pourvu qu’il n’arrive pas de malheur !
Mais il était déjà trop tard.
Depuis que le quadrille était commencé, André Antonovitch considérait les danseurs avec un ahurissement mêlé d’irritation ; en entendant les premières remarques faites par le public, il se mit à regarder autour de lui d’un air inquiet. Alors, pour la première fois, ses yeux rencontrèrent certains hommes du buffet, et un étonnement extraordinaire se manifesta dans son regard. Tout à coup éclatèrent des rires bruyants parmi les spectateurs du quadrille : à la dernière figure, le rédacteur en chef du « terrible organe moscovite », voyant toujours braquées sur lui les lunettes de l’ »honnête pensée russe » et ne sachant comment se dérober au regard qui le poursuivait, s’avisait soudain d’aller, les pieds en l’air, à la rencontre de son ennemie, manière ingénieuse d’exprimer que tout était sens dessus dessous dans l’esprit du terrible publiciste. Comme Liamchine seul savait faire le poirier, il s’était chargé de représenter le journaliste à la massue. Julie Mikhaïlovna ignorait complètement qu’on devait marcher les pieds en l’air. « Ils m’avaient caché cela, ils me l’avaient caché », me répétait-elle plus tard avec indignation.