même impression de honte se reflétait sur tous les visages, sans en excepter ceux des individus hétéroclites qui étaient venus du buffet. Pendant un certain temps le public resta silencieux, se demandant avec irritation ce que cela voulait dire. Peu à peu les langues se délièrent.
— Qu’est-ce que c’est que cela ? grommelait dans un groupe un sommelier.
— C’est une bêtise.
— C’est de la littérature. Ils blaguent le Golas.
— Mais qu’est-ce que ça me fait, à moi ?
Ailleurs, j’entendis le dialogue suivant :
— Ce sont des ânes !
— Non, les ânes, ce n’est pas eux, mais nous.
— Pourquoi es-tu un âne ?
— Je ne suis pas un âne.
— Eh bien, si tu n’es pas un âne, à plus forte raison je n’en suis pas un.
Dans un troisième groupe :
— On devrait leur flanquer à tous le pied au derrière !
— Chambarder toute la salle !
Dans un quatrième :
— Comment les Lembke n’ont-ils pas honte de regarder cela ?
— Pourquoi s’en priveraient-ils ? Tu le regardes bien, toi !
— Ce n’est pas ce que je fais de mieux, mais, après tout, moi, je ne suis pas gouverneur.
— Non, tu es un cochon.
— Jamais de ma vie je n’ai vu un bal aussi vulgaire, observa d’un ton aigre et avec le désir évident d’être entendue une dame qui se trouvait près de Julie Mikhaïlovna. C’était une robuste femme de quarante ans ; elle avait le visage fardé et portait une robe de soie d’une couleur criarde ; en ville presque tout le monde la connaissait, mais personne ne la recevait. Veuve d’un conseiller d’État qui ne lui avait laissé qu’une maison de bois et une maigre pension, elle vivait bien et avait équipage. Deux mois