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n’obtenait pour toute réponse qu’un oui ou un non, tant les femmes à qui elle adressait la parole avaient hâte de s’éloigner d’elle.

Parmi nos personnages de marque, un seul assistait au bal : c’était le général en retraite que le lecteur a déjà rencontré chez la maréchale de la noblesse. Toujours digne, comme le jour où il pérorait sur le duel de Stavroguine avec Gaganoff, le vieux débris circulait dans les salons, ouvrant l’œil, tendant l’oreille, et cherchant à se donner toutes les apparences d’un homme venu là pour étudier les mœurs plutôt que pour s’amuser. À la fin, il s’empara de la gouvernante et ne la lâcha plus. Évidemment il voulait la réconforter par sa présence et ses paroles. C’était à coup sûr un fort bon homme, très distingué de manières, et trop âgé pour que sa pitié même pût offenser. Il était néanmoins extrêmement pénible à Julie Mikhaïlovna de se dire que cette vieille baderne osait avoir compassion d’elle et se constituait en quelque sorte son protecteur. Cependant le général bavardait sans interruption.

— Une ville ne peut subsister, dit-on, que si elle possède sept justes… je crois que c’est sept, je ne me rappelle pas positivement le chiffre. Parmi les sept justes avérés que renferme notre ville, combien ont l’honneur de se trouver à votre bal ? je l’ignore, mais, malgré leur présence, je commence à me sentir un peu inquiet. Vous me pardonnerez, charmante dame, n’est-ce pas ? Je parle al-lé-go-ri-quement, mais je suis allé au buffet, et, ma foi ! je trouve que notre excellent Prokhoritch n’est pas là à sa place : il pourrait bien être razzié d’ici à demain matin. Du reste, je plaisante. J’attends seulement le « quadrille de la littérature », je tiens à savoir ce que ce sera, ensuite j’irai me coucher. Pardonnez à un vieux podagre, je me couche de bonne heure, et je vous conseillerais aussi d’aller « faire dodo », comme on dit aux enfants. Je suis venu pour les jeunes beautés… que votre bal m’offrait une occasion unique de voir en aussi grand nombre… Elles habitent toutes de l’autre côté de l’eau, et je