s trouble-t-elle à ce point ? Certainement elle n’y viendra pas, après la part qu’elle a eue à un tel scandale ! Ce n’est peut-être pas sa faute, mais sa réputation n’en souffre pas moins, elle a de la boue sur les mains.
— Qu’est-ce que c’est ? je ne comprends pas : pourquoi a-t-elle de la boue sur les mains ? demanda Julie Mikhaïlovna en regardant Pierre Stépanovitch d’un air étonné.
— Je n’affirme rien, mais en ville le bruit court qu’elle leur a servi d’entremetteuse.
— Comment ? À qui a-t-elle servi d’entremetteuse ?
— Eh ! mais est-ce que vous ne savez pas encore la chose ? s’écria- t-il avec une surprise admirablement jouée, — eh bien, à Stavroguine et à Élisabeth Nikolaïevna !
Nous n’eûmes tous qu’un même cri :
— Comment ? Quoi ?
— Vrai, on dirait que vous n’êtes encore au courant de rien ! Eh bien, il s’agit d’un événement tragico-romanesque : en plein jour Élisabeth Nikolaïevna a quitté la voiture de la maréchale de la noblesse pour monter dans celle de Stavroguine, et elle a filé avec « ce dernier » à Skvorechniki. Il y a de cela une heure tout au plus.
Ces paroles nous plongèrent dans une stupéfaction facile à comprendre. Naturellement, nous avions hâte d’en savoir davantage, et nous nous mîmes à interroger Pierre Stépanovitch. Mais, circonstance singulière, quoiqu’il eût été, « par hasard », témoin du fait, il ne put nous en donner qu’un récit très sommaire. Voici, d’après lui, comment la chose s’était passée : après la matinée littéraire, la maréchale de la noblesse avait ramené dans sa voiture Lisa et Maurice Nikolaïévitch à la demeure de la générale Drozdoff (celle-ci avait toujours les jambes malades) ; au moment où l’équipage venait de s’arrêter devant le perron, Lisa, sautant à terre, s’était élancée vers une autre voiture qui stationnait à vingt-cinq pas de là, la portière s’était ouverte et refermée : « Épargnez-moi ! » avait crié la jeune fille à Maurice Nikolaïévitch, et la voiture était partie à fond de train d