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instruit de tout ce qui concerne ces vers ! Comment donc se trouvent-ils sur votre table ? Vous avez bien su vous les procurer ! Pourquoi me mettez- vous à la question, s’il en est ainsi ?

Il essuya convulsivement avec son mouchoir la sueur qui ruisselait de son front.

— Je sais peut-être bien quelque chose… répondit vaguement André Antonovitch ; — mais qui donc est ce Kiriloff ?

— Eh bien ! mais c’est un ingénieur arrivé depuis peu ici, il a servi de témoin à Stavroguine, c’est un maniaque, un fou ; dans le cas de votre sous-lieutenant il n’y a peut-être, en effet, qu’un simple accès de fièvre chaude, mais celui-là, c’est un véritable aliéné, je vous le garantis. Eh ! André Antonovitch, si le gouvernement savait ce que sont ces gens, il ne sévirait pas contre eux. Ce sont tous autant d’imbéciles : j’ai eu l’occasion de les voir en Suisse et dans les congrès.

— C’est de là qu’ils dirigent le mouvement qui se produit ici ?

— Mais à qui donc appartient cette direction ? Ils sont là trois individus et demi. Rien qu’à les voir, l’ennui vous prend. Et qu’est-ce que ce mouvement d’ici ? Il se réduit à des proclamations, n’est-ce pas ? Quant à leurs adeptes, quels sont- ils ? Un sous-lieutenant atteint de _delirium tremens_ et deux ou trois étudiants ! Vous êtes un homme intelligent, voici une question que je vous soumets : Pourquoi ne recrutent-ils pas des individualités plus marquantes ? Pourquoi sont-ce toujours des jeunes gens qui n’ont pas atteint leur vingt-deuxième année ? Et encore sont-ils nombreux ? Je suis sûr qu’on a lancé à leurs trousses un million de limiers, or combien en a-t-on découvert ? Sept. Je vous le dis, c’est ennuyeux.

Lembke écoutait attentivement, mais l’expression de son visage pouvait se traduire par ces mots : « On ne nourrit pas un rossignol avec des fables. »