— Sans aucun doute, c’est moi qui, invisible et présent, faisais mouvoir tous les fils. Mais, voyons, si je prenais part à un complot, — comprenez du moins cela ! — ce serait pour aboutir à autre chose qu’à la lecture de quelques vers ridicules ! Pourquoi ne pas dire tout de suite que j’avais donné le mot à papa pour qu’il causât un pareil scandale ? À qui la faute si vous avez laissé papa s’exhiber en public ? Qui est-ce qui, hier, vous avait déconseillé cela, hier encore, hier ?
— Oh ! hier il avait tant d’esprit, je comptais tant sur lui ; il a, en outre, de si belles manières ; je me disais : lui et Karmazinoff… et voilà !
— Oui : et voilà. Mais, avec tout son esprit, papa s’est conduit bêtement. Je savais d’avance qu’il ferait des bêtises ; si donc j’étais entré dans une conspiration ourdie contre votre fête, est- ce que je vous aurais engagée à ne pas lâcher l’âne dans le potager ? Non, sans doute. Eh bien, hier je vous ai vivement sollicitée d’interdire la parole à papa, car je pressentais ce qui devait arriver. Naturellement il était impossible de tout prévoir, et lui-même, pour sûr, ne savait pas, une minute avant de monter sur l’estrade, quel brûlot il allait allumer. Est-ce que ces vieillards nerveux ressemblaient à des hommes ? Mais le mal n’est pas sans remède : pour donner satisfaction au public, demain ou même aujourd’hui envoyez chez lui par mesure administrative deux médecins chargés d’examiner son état mental, et ensuite fourrez-le dans un asile d’aliénés. Tout le monde rira et comprendra qu’il n’y a pas lieu de se sentir offensé. En ma qualité de fils, j’annoncerai la nouvelle ce soir au bal. Karmazinoff, c’est une autre affaire : l’animal a mis son auditoire de mauvaise humeur en lisant pendant une heure entière. En voilà encore un qui, à coup sûr, s’entendait avec moi ! Il avait été convenu entre nous qu’il ferait des sottises afin de nuire à Julie Mikhaïlovna !
— Oh ! Karmazinoff, quelle honte ! J’en ai rougi pour notre public !
— Eh bien, moi, je n’aurais pas rougi, mais j’aurais étrillé