vous pas votre main à baiser à Liamchine ? Un séminariste n’a-t-il pas, en votre présence, insulté un conseiller d’État actuel venu chez vous avec sa fille, et n’a- t-il pas gâté la robe de celle-ci en essuyant dessus ses grosses bottes goudronnées ? Pourquoi donc vous étonnez-vous que le public vous soit hostile ?
— Mais tout cela, c’est votre œuvre, je n’ai fait que suivre vos conseils ! Ô mon Dieu !
— Non, je vous ai avertie, je vous ai engagée à vous tenir sur vos gardes, nous avons eu des discussions ensemble à ce sujet, nous nous sommes querellés !
— Vous mentez effrontément.
— Allons, sans doute il est inutile de vous parler de cela. Maintenant vous êtes fâchée, il vous faut une victime ; eh bien, je le répète, passez votre colère sur moi. Mieux vaut que je m’adresse à vous, monsieur… (il feignait toujours d’avoir oublié mon nom) : en laissant de côté Lipoutine, j’affirme qu’il n’y a eu aucun complot, au-cun ! Je le prouverai, mais examinons d’abord le cas de Lipoutine. Il est venu lire les vers de l’imbécile Lébiadkine, et c’est cela que vous appelez un complot ? Mais savez- vous que Lipoutine a très bien pu trouver la chose spirituelle ? Sérieusement, sérieusement spirituelle. En faisant cette lecture, il comptait amuser la société, égayer tout le monde, à commencer par sa protectrice Julie Mikhaïlovna, voilà tout. Vous ne le croyez pas ? Eh bien, cette facétie n’est-elle pas dans le goût de tout ce qui s’est fait ici depuis un mois ? Voulez-vous que je vous dise toute ma pensée ? Je suis sûr que dans un autre moment cela aurait passé comme une lettre à la poste ; on n’y aurait vu qu’une plaisanterie risquée, grossière peut-être, mais amusante.
— Comment ! Vous trouvez spirituelle l’action de Lipoutine ? s’écria dans un transport d’indignation Julie Mikhaïlovna ; — vous osez appeler ainsi une pareille sottise, une pareille inconvenance, un acte si bas, si lâche, si perfide ? Je vois bien maintenant que vous-même êtes du complot !