Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 2.djvu/186

Cette page n’a pas encore été corrigée

— J’entends, et voici ce que je vous dirai, reprit en s’adressant à moi Pierre Stépanovitch, — je suppose que vous avez tous mangé quelque chose qui vous a fait perdre l’esprit. Selon moi, il ne s’est rien passé, absolument rien, qu’on n’ait déjà vu et qu’on n’ait pu toujours voir dans cette ville. Que parlez-vous de ce complot ? Cela a été fort laid, honteusement bête, mais où donc y a-t-il un complot ? Comment, ils auraient comploté contre Julie Mikhaïlovna qui les protège, qui les gâte, qui leur pardonne avec une indulgence inépuisable toutes leurs polissonneries ? Julie Mikhaïlovna ! Que vous ai-je répété à satiété depuis un mois ? De quoi vous ai-je prévenue ? Allons, quel besoin aviez-vous de tous ces gens-là ? Vous teniez donc bien à vous encanailler ? Pourquoi ? Dans quel but ? Pour fusionner les divers éléments sociaux ? Eh bien, elle est jolie, votre fusion !

— Quand donc m’avez-vous prévenue ? Au contraire, vous m’approuviez, vous exigiez même que j’agisse ainsi… Votre langage, je l’avoue, m’étonne à un tel point… Vous m’avez vous- même amené plusieurs fois d’étranges gens…

— Au contraire, loin de vous approuver, je disputais avec vous. Je reconnais que je vous ai présenté d’étranges gens, mais je ne l’ai fait que tout récemment, après avoir vu vos salons envahis déjà par des douzaines d’individus semblables ; je vous ai amené des danseurs pour le « quadrille de la littérature », et l’on n’aurait pas pu les recruter dans la bonne société. Du reste, je parie qu’à la séance littéraire d’aujourd’hui on a laissé entrer sans billets bien d’autres crapules.

— Certainement, confirmai-je.

— Vous voyez, vous en convenez. Vous rappelez-vous le ton qui régnait ici en ville dans ces derniers temps ? C’était l’effronterie la plus impudente, le cynisme le plus scandaleux. Et qui encourageait cela ? Qui couvrait cela de son patronage ? Qui a dévoyé l’esprit public ? Qui a jeté tout le fretin hors des gonds ? Est-ce que les secrets de toutes les familles ne s’étalent pas dans votre album ? Ne combliez-vous pas de caresses vos poètes et vos dessinateurs ? Ne donniez-