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sort a failli être uni au mien par la volonté d’un coeur capricieux et despote ; vous qui peut-être m’avez vu avec mépris verser mes lâches larmes à la veille de notre mariage projeté ; vous qui, en tout état de cause, ne pouvez me considérer que comme un personnage comique, — oh ! à vous, à vous le dernier cri de mon coeur ! Envers vous seule j’ai un dernier devoir à remplir ! Je ne puis vous quitter pour toujours en vous laissant l’impression que je suis un ingrat, un sot, un rustre et un égoïste, comme probablement vous le répète chaque jour une personne ingrate et dure qu’il m’est, hélas ! impossible d’oublier…

Etc., etc. Il y avait quatre pages de phrases dans ce goût-là.

En réponse à son « je n’ouvrirai pas », je cognai trois fois à la porte. « J’aurai ma revanche », lui criai-je en m’en allant, « aujourd’hui même vous m’enverrez chercher trois fois par Nastasia, et je ne viendrai pas. » Je courus ensuite chez Julie Mikhaïlovna.

II

Là, je fus témoin d’une scène révoltante : on trompait effrontément la pauvre femme, et j’étais forcé de me taire. Qu’aurais-je pu lui dire, en effet ? Revenu à une plus calme appréciation des choses, je m’étais aperçu que tout se réduisait pour moi à des impressions, à des pressentiments sinistres, et qu’en dehors de cela je n’avais aucune preuve. Je trouvai la gouvernante en larmes, ses nerfs étaient très agités. Elle se frictionnait avec de l’eau de Cologne, et il y avait un verre d’eau à côté d’elle. Pierre Stépanovitch, debout devant Julie Mikhaïlovna, parlait sans discontinuer ; le prince était là aussi, mais il ne disait mot. Tout en pleurant, elle reprochait avec vivacité à Pierre Stépanovitch ce