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et un ou deux autres… peut-être aussi Chatoff et encore un cinquième, voilà tout, c’est une misère… Mais c’est pour Chatoff que je suis venu vous implorer, il faut le sauver parce que cette poésie est de lui, c’est son œuvre personnelle, et il l’a fait imprimer à l’étranger ; voilà ce que je sais de science certaine. Quant aux proclamations, je ne sais absolument rien.

— Si les vers sont de lui, les proclamations en sont certainement aussi. Mais sur quelles données vous fondez-vous pour soupçonner M. Chatoff ?

Comme un homme à bout de patience, Pierre Stépanovitch tira vivement de sa poche un portefeuille et y prit une lettre.

— Voici mes données ! cria-t-il en la jetant sur la table.

Le gouverneur la déplia ; c’était un simple billet écrit six mois auparavant et adressé de Russie à l’étranger ; il ne contenait que les deux lignes suivantes :

— « Je ne puis imprimer ici la _Personnalité éclairée, _pas plus qu’autre chose ; imprimez à l’étranger.

« Iv. Chatoff. »

Von Lembke regarda fixement Pierre Stépanovitch. Barbara Pétrovna avait dit vrai : les yeux du gouverneur ressemblaient un peu à ceux d’un mouton, dans certains moments surtout.

— C’est-à-dire qu’il a écrit ces vers ici il y a six mois, se hâta d’expliquer Pierre Stépanovitch, — mais qu’il n’a pu les y imprimer clandestinement, voilà pourquoi il demande qu’on les imprime à l’étranger… Est-ce clair ?

— Oui, c’est clair, mais à qui demande-t-il cela ? Voilà ce qui n’est pas encore clair, observa insidieusement Von Lembke.

— Mais à Kiriloff donc, enfin ; la lettre a été adressée à Kiriloff à l’étranger… Est-ce que vous ne le saviez pas ? Tenez, ce qui me vexe, c’est que peut-être vous faites l’ignorant vis-à- vis de moi, alors que vous êtes depuis longtemps