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accouru auprès d’elle… Tout à coup, six appariteurs sortirent des coulisses, saisirent le maniaque et l’arrachèrent de l’estrade. Comment réussit-il à se dégager de leurs mains ? je ne puis le comprendre, toujours est-il qu’on le vit reparaître sur la plate-forme, brandissant le poing et criant de toute sa force :

— Mais jamais la Russie n’était encore arrivée…

De nouveau on s’empara de lui et on l’entraîna. Une quinzaine d’individus s’élancèrent dans les coulisses pour le délivrer, mais, au lieu d’envahir l’estrade, ils se ruèrent sur la mince cloison latérale qui séparait les coulisses de la salle et finirent par la jeter bas… Puis je vis sans en croire mes yeux l’étudiante (soeur de Virguinsky) escalader brusquement l’estrade : elle était là avec son rouleau de papier sous le bras, son costume de voyage, son teint coloré et son léger embonpoint ; autour d’elle se trouvaient deux ou trois femmes et deux ou trois hommes parmi lesquels son mortel ennemi, le collégien. Je pus même entendre la phrase :

— « Messieurs, je suis venue pour faire connaître les souffrances des malheureux étudiants et susciter partout l’esprit de protestation… »

Mais il me tardait d’être dehors. Je fourrai mon nœud de rubans dans ma poche et, grâce à ma connaissance des êtres de la maison, je m’esquivai par une issue dérobée. Comme bien on pense, mon premier mouvement fut de courir chez Stépan Trophimovitch.