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dit que l’écrivain avait une voix trop criarde, un peu féminine même, et que de plus il susseyait d’une façon tout aristocratique. À peine venait-il de prononcer quelques mots qu’un auditeur, probablement mal élevé et doué d’un caractère gai, se permit de rire aux éclats. Du reste, loin de faire chorus avec ce malappris, les assistants s’empressèrent de lui imposer le silence. Mais voilà que Karmazinoff déclare en minaudant que « d’abord il s’était absolument refusé à toute lecture » (il avait bien besoin de dire cela !). « Il y a des lignes qui jaillissent des plus intimes profondeurs de l’âme et qu’on ne peut sans profanation livrer au public » (eh bien, alors pourquoi les lui livrait-il ?) ; « mais force lui a été de céder aux instances dont on l’a accablé, et comme, de plus, il dépose la plume pour toujours et a juré de ne plus rien écrire, eh bien, il a écrit cette dernière chose ; et comme il a juré de ne plus rien lire en public, il lira au public ce dernier article » ; et patati et patata.

Mais tout cela aurait encore passé, car qui ne connaît les préfaces des auteurs ? J’observai pourtant que cet exorde était maladroit, alors qu’on s’adressait à un public comme le nôtre, c’est-à-dire peu cultivé et en partie composé d’éléments turbulents. N’importe, tout aurait été sauvé si Karmazinoff avait lu une petite nouvelle, un court récit dans le genre de ceux qu’il écrivait autrefois, et où, à côté de beaucoup de manière et d’afféterie, on trouvait souvent de l’esprit. Au lieu de cela, il nous servit une rapsodie interminable. Mon Dieu, que n’y avait-il pas là-dedans ? C’était à faire tomber en catalepsie le public même de Pétersbourg, à plus forte raison le nôtre. Figurez-vous près de deux feuilles d’impression remplies par le bavardage le plus prétentieux et le plus inutile ; pour comble, ce monsieur avait l’air de lire à contre-cœur et comme par grâce, ce qui devait nécessairement froisser l’auditoire. Le thème… Mais qui pourrait en donner une idée ? C’étaient des impressions, des souvenirs. Impressions de quoi ? Souvenirs de quoi ? Nos provinciaux eurent beau se torturer l’esprit pendant toute