le chef du club) s’occuperait sous le contrôle sévère du comité ; moyennant finance, chacun pourrait là boire et manger ce qu’il voudrait ; un avis placardé sur la porte de la salle préviendrait le public que le buffet était en dehors du programme. De crainte que le bruit fait par les consommateurs ne troublât la séance littéraire, on décida que le buffet projeté ne serait pas ouvert pendant la matinée, quoique cinq pièces le séparassent de la salle blanche où Karmazinoff consentait à lire son manuscrit. Il était curieux de voir quelle énorme importance le comité, sans en excepter les plus pratiques de ses membres, attachait à cet événement, c’est-à-dire à la lecture de Merci. Quant aux natures poétiques, leur enthousiasme tenait du délire ; ainsi la maréchale de la noblesse déclara à Karmazinoff qu’aussitôt après la lecture elle ferait encastrer dans le mur de sa salle blanche une plaque de marbre sur laquelle serait gravé en lettres d’or ce qui suit : « Le… 187., le grand écrivain russe et européen, Sémen Égorovitch Karmazinoff, déposant la plume, a lu en ce lieu Merci et a ainsi pris congé, pour la première fois, du public russe dans la personne des représentants de notre ville. » Au moment du bal, c’est-à-dire cinq heures après la lecture, cette plaque commémorative s’offrirait à tous les regards. Je tiens de bonne source que Karmazinoff s’opposa plus que personne à l’ouverture du buffet pendant la matinée ; quelques membres du comité eurent beau faire observer que ce serait une dérogation à nos usages, le grand écrivain resta inflexible.
Les choses avaient été réglées de la sorte, alors qu’en ville on croyait encore à un festin de Balthazar, autrement dit, à un buffet où les consommations seraient gratuites. Cette illusion subsista jusqu’à la dernière heure. Les demoiselles rêvaient de friandises extraordinaires. Tout le monde savait que la souscription marchait admirablement, qu’on s’arrachait les billets, et que le comité était débordé par les demandes qui lui arrivaient de tous les coins de la province. On n’ignorait pas non plus qu’indépendamment du p