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Troisième Partie. Chapitre premier. La Fête (1)

I

La fête eut lieu nonobstant les inquiétudes qu’avait fait naître la journée précédente. Lembke serait mort dans la nuit que rien, je crois, n’aurait été changé aux dispositions prises pour le lendemain, tant Julie Mikhaïlovna attachait d’importance à sa fête. Hélas ! jusqu’à la dernière minute elle s’aveugla sur l’état des esprits. Vers la fin, tout le monde était persuadé que la solennelle journée ne se passerait pas sans orage. « Ce sera le dénoûment », disaient quelques uns qui, d’avance, se frottaient les mains. Plusieurs, il est vrai, fronçaient le sourcil et affectaient des airs soucieux ; mais, en général, tout esclandre cause un plaisir infini aux Russes. À la vérité, il y avait chez nous autre chose encore qu’une simple soif de scandale : il y avait de l’agacement, de l’irritation, de la lassitude. Partout régnait un cynisme de commande. Le public énervé, dévoyé, ne se reconnaissait plus. Au milieu du désarroi universel, les dames seules ne perdaient pas la carte, réunies qu’elles étaient dans un sentiment commun : la haine de Julie Mikhaïlovna. Et la pauvrette ne se doutait de rien ; jusqu’à la dernière heure elle resta convaincue qu’elle avait groupé toutes les sympathies autour de sa