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leva à demi et étendit le bras droit devant elle comme pour se protéger. Nicolas Vsévolodovitch regarda à son tour sa mère, Lisa, l’assistance, et tout à coup un sourire d’ineffable dédain se montra sur ses lèvres ; il se dirigea lentement vers la porte. Le premier mouvement d’Élisabeth Nikolaïevna fut de courir après lui ; au moment où il sortit, tout le monde la vit se lever précipitamment, mais elle se ravisa, et, au lieu de s’élancer sur les pas du jeune homme, elle se retira tranquillement, sans rien dire à personne, sans regarder qui que ce fût. Comme de juste, Maurice Nikolaïévitch s’empressa de lui offrir son bras…

De retour à sa maison de ville, Barbara Pétrovna fit défendre sa porte. Quant à Nicolas Vsévolodovitch, on a dit qu’il s’était rendu directement à Skvorechniki, sans voir sa mère. Stépan Trophimovitch m’envoya le soir demander pour lui à « cette chère amie » la permission de l’aller voir, mais je ne fus pas reçu. Il était profondément désolé : « Un pareil mariage ! Un pareil mariage ! Quel malheur pour une famille ! » ne cessait-il de répéter les larmes aux yeux. Pourtant il n’oubliait pas Karmazinoff, contre qui il se répandait en injures. Il était aussi très occupé de la lecture qu’il devait faire, et — nature artistique ! — il s’y préparait devant une glace, en repassant dans sa mémoire pour les servir le lendemain au public tous les calembours et traits d’esprit qu’il avait faits pendant toute sa vie et dont il avait soigneusement tenu registre.

— Mon ami, c’est pour la grande idée, me dit-il en manière de justification. — Mon ami, je sors de la retraite où je vivais depuis vingt-cinq ans. Où vais-je ? je l’ignore, mais je pars…