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travers champs. Ensuite, il s’arrêta et se mit à examiner de petites fleurs. Il les contempla si longtemps que je me demandai même ce que cela voulait dire. » Tel fut le récit du cocher. Je me rappelle le temps qu’il faisait ce jour-là ; c’était par une matinée de septembre, froide et claire, mais venteuse ; devant André Antonovitch s’étendait un paysage d’un aspect sévère ; la campagne, d’où l’on avait depuis longtemps enlevé les récoltes, n’offrait plus que quelques petites fleurs jaunes dont le vent agitait les tiges… Le gouverneur comparaît-il mentalement sa destinée à celle de ces pauvres plantes flétries par le froid de l’automne ? Je ne le crois pas. Les objets qu’il avait sous les yeux étaient, je suppose, fort loin de son esprit, nonobstant le témoignage du cocher et celui du commissaire de police, qui déclara plus tard avoir trouvé Son Excellence tenant à la main un petit bouquet de fleurs jaunes. Ce commissaire, Basile Ivanovitch Flibustiéroff, était arrivé depuis peu chez nous ; mais il avait déjà su se distinguer par l’intempérance de son zèle. Lorsqu’il eut mis pied à terre, il ne douta point, en voyant ce à quoi s’occupait le gouverneur, que celui-ci ne fût fou ; néanmoins, il lui annonça de but en blanc que la ville n’était pas tranquille.

— Hein ? Quoi ? fit Von Lembke en tournant vers le commissaire de police un visage sévère, mais sans manifester le moindre étonnement ; il semblait se croire dans son cabinet, et avoir perdu tout souvenir de la voiture et du cocher.

— Le commissaire de police du premier arrondissement, Flibustiéroff, Excellence. Il y a une émeute en ville.

— Des flibustiers ? demanda André Antonovitch songeur.

— Précisément, Excellence. Les ouvriers de la fabrique des Chpigouline sont en insurrection.

— Les ouvriers des Chpigouline !

Ces mots parurent lui rappeler quelque chose. Il frissonna même et porta le doigt à son front : « Les ouvriers des Chpigouline ! » Silencieux, mais toujours songeur, il regagna lentement sa calèche, y monta et se fit conduire à la ville. Le commissaire de police le suivit en drojki.

J’imagine que nombre de choses fort intéressantes se présentèrent, durant la route, à la pensée du gouverneur, toutefois c’est bien au plus