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la maison du gouverneur, les ouvriers se rangèrent silencieusement vis-à-vis du perron ; ensuite ils attendirent bouche béante. On m’a dit qu’à peine en place ils avaient ôté leurs bonnets, et cela avant l’apparition de Von Lembke, qui, comme par un fait exprès, ne se trouvait pas chez lui en ce moment. La police se montra bientôt, d’abord par petites escouades, puis au grand complet. Comme toujours, elle commença par sommer les manifestants de se disperser. Ils n’en firent rien, et répondirent laconiquement qu’ils avaient à parler au « _général_ lui-même » ; leur attitude dénotait une résolution énergique ; le calme dont ils ne se départaient point, et qui semblait l’effet d’un mot d’ordre, inquiéta l’autorité. Le maître de police crut devoir attendre l’arrivée de Von Lembke. Les faits et gestes de ce personnage ont été racontés de la façon la plus fantaisiste. Ainsi, il est absolument faux qu’il ait fait venir la troupe baïonnette au fusil, et qu’il ait télégraphié quelque part pour demander de l’artillerie et des Cosaques. Ce sont des fables dont se moquent à présent ceux même qui les ont inventées. Non moins absurde est l’histoire des pompes à incendie, avec lesquelles on aurait douché la foule. Ce qui a pu donner naissance à ce bruit, c’est qu’Ilia Ilitch, fort échauffé, criait aux ouvriers : « Pas un de vous ne sortira sec de l’eau[25]. » De là sans doute la légende des pompes à incendie, qui a trouvé un écho dans les correspondances adressées aux journaux de la capitale. En réalité, le maître de police se borna à faire cerner le rassemblement par tout ce qu’il avait d’hommes disponibles, et à dépêcher au gouverneur le commissaire du premier arrondissement ; celui-ci monta dans le drojki d’Ilia Ilitch et partit en tout hâte pour Skvorechniki, sachant qu’une demi-heure auparavant Von Lembke s’était mis en route dans cette direction…

Mais un point, je l’avoue, reste encore obscur