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Chapitre X. Les Flibustiers. Une matinée fatale.

I

Une heure avant que je sortisse avec Stépan Trophimovitch, on vit non sans surprise défiler dans les rues de notre ville une bande de soixante-dix ouvriers au moins, appartenant à la fabrique de Chpigouline, qui en comptait environ neuf cents. Ils marchaient en bon ordre, presque silencieusement. Plus tard on a prétendu que ces soixante-dix hommes étaient les mandataires de leurs camarades, qu’ils avaient été choisis pour aller trouver le gouverneur et lui demander justice contre l’intendant qui, en l’absence des patrons, avait fermé l’usine et volé effrontément le personnel congédié. D’autres chez nous se refusent à admettre que les soixante-dix aient été délégués par l’ensemble des travailleurs de la fabrique, ils soutiennent qu’une députation comprenant soixante-dix membres n’aurait pas eu le sens commun. À en croire les partisans de cette opinion, la bande se composait tout bonnement des ouvriers qui avaient le plus à se plaindre de l’intendant, et qui s’étaient réunis pour porter au gouverneur leurs doléances particulières et non celles de toute l’usine. Dans l’hypothèse que je viens d’indiquer, la « révolte » générale de la fabrique, dont on a tant parlé depuis, n’aurait été qu’une intervention de nouvellistes. Enfin, suivant une troisième version, il faudrait voir dans la manifestation