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Stépanovitch. — À propos, voici votre roman, ajouta-t-il en déposant sur la table un gros cahier roulé en forme de cylindre et soigneusement enveloppé dans un papier bleu.

Lembke rougit et se troubla.

— Où donc l’avez-vous trouvé ? demanda-t-il aussi froidement qu’il le put, mais sa joie était visible malgré tous les efforts qu’il faisait pour la cacher.

— Figurez-vous qu’il avait roulé derrière la commode. Quand je suis rentré l’autre jour, je l’aurai jeté trop brusquement sur ce meuble. C’est avant-hier seulement qu’on l’a retrouvé, en lavant les parquets, mais vous m’avez donné bien de l’ouvrage.

Le gouverneur, voulant conserver un air de sévérité, baissa les yeux.

— Vous êtes cause que depuis deux nuits je n’ai pas dormi. — Voilà déjà deux jours que le manuscrit est retrouvé ; si je ne vous l’ai pas rendu tout de suite, c’est parce que je tenais à le lire d’un bout à l’autre, et, comme je n’ai pas le temps pendant la journée, j’ai dû y consacrer mes nuits. Eh bien, je suis mécontent de ce roman : l’idée ne me plaît pas. Peu importe après tout, je n’ai jamais été un critique ; d’ailleurs, quoique mécontent, batuchka, je n’ai pas pu m’arracher à cette lecture ! Les chapitres IV et V, c’est… c’est… le diable sait quoi ! Et que d’humour vous avez fourré là-dedans ! j’ai bien ri. Comme vous savez pourtant provoquer l’hilarité sans que cela paraisse ! Dans les chapitres IX et X il n’est question que d’amour, ce n’est pas mon affaire, mais cela produit tout de même de l’effet. Pour ce qui est de la fin, oh ! je vous battrais volontiers. Voyons, quelle est votre conclusion ? Toujours l’éternelle balançoire, la glorification du bonheur domestique : vos personnages se marient, ont beaucoup d’enfants et font bien leurs affaires ! Vous enchantez le lecteur, car moi-même, je le répète, je n’ai pas pu m’arracher à votre roman, mais vous n’en êtes que plus coupable. Le public est bête, les hommes intelligents devraient l’éclairer, et vous au contraire… Allons, assez, adieu. Une autr