tion… Sans doute, il n’y a pas encore bien longtemps, le gouverneur avait le droit, dans les cas urgents, de recourir à une procédure expéditive… Mais, encore une fois, quel cas urgent pouvait-il y avoir ici ? Voilà ce qui me confondait.
— On aura certainement reçu un télégramme de Pétersbourg, dit soudain Stépan Trophimovitch.
— Un télégramme ? À votre sujet ? À cause de votre poème et des ouvrages de Hertzen ? Vous êtes fou : est-ce que cela peut motiver une arrestation ?
Je prononçai ces mots avec une véritable colère. Il fit la grimace, évidemment je l’avais blessé en lui disant qu’il n’y avait pas de raison pour l’arrêter.
— À notre époque on peut être arrêté sans savoir pourquoi, murmura-t-il d’un air mystérieux.
Une supposition saugrenue me vint à l’esprit.
— Stépan Trophimovitch, parlez-moi comme à un ami, criai-je, — comme à un véritable ami, je ne vous trahirai pas : oui ou non, appartenez-vous à quelque société secrète ?
Grande fut ma surprise en constatant l’embarras dans lequel le jeta cette question : il n’était pas bien sûr de ne pas faire partie d’une société secrète.
— Cela dépend du point de vue où l’on se place, _voyez-vous…_
— Comment, « cela dépend du point de vue » ?
— Quand on appartient de tout son cœur au progrès et… qui peut répondre… on croit ne faire partie de rien, et, en y regardant bien, on découvre qu’on fait partie de quelque chose.
— Comment est-ce possible ? On est d’une société secrète ou l’on n’en est pas !
_— Cela date de Pétersbourg, _du temps où elle et moi nous voulions fonder là une revue. Voilà le point de départ. Alors nous leur avons glissé dans les mains, et ils nous ont oubliés ; mais maintenant ils se souviennent. _Cher, cher, _est-ce que vous ne savez pas ? s’écria-t-il douloureusement : — on nous rendra à notre tour, on nous fourrera dans une