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de vous fera leur conquête. Il apporte une vérité nouvelle et « il se cache ». Nous rendrons deux ou trois jugements de Salomon dont le bruit se répandra partout. Avec des sections et des quinquévirats, pas besoin de journaux ! Si, sur dix mille demandes, nous donnons satisfaction à une seule, tout le monde viendra nous solliciter. Dans chaque canton, chaque moujik saura qu’il y a quelque part un endroit écarté où les suppliques sont bien accueillies. Et la terre saluera l’avènement de la « nouvelle loi », de la « justice nouvelle », et la mer se soulèvera, et la baraque s’écroulera, et alors nous aviserons au moyen d’élever un édifice de pierre, — le premier ! c’est nous qui le construirons, nous, nous seuls !

— Frénésie ! dit Stavroguine.

— Pourquoi, pourquoi ne voulez-vous pas ? Vous avez peur ? C’est parce que vous ne craignez rien que j’ai jeté les yeux sur vous. Mon idée vous paraît absurde, n’est-ce pas ? Mais, pour le moment, je suis encore un Colomb sans Amérique : est-ce qu’on trouvait Colomb raisonnable avant que le succès lui eût donné raison ?

Nicolas Vsévolodovitch ne répondit pas. Arrivés à la maison Stavroguine, les deux hommes s’arrêtèrent devant le perron.

— Écoutez, fit Verkhovensky en se penchant à l’oreille de Nicolas Vsévolodovitch : — je vous servirai sans argent : demain j’en finirai avec Marie Timoféievna… sans argent, et demain aussi je vous amènerai Lisa. Voulez-vous Lisa, demain ?

Stavroguine sourit : « Est-ce que réellement il serait devenu fou ? » pensa-t-il.

Les portes du perron s’ouvrirent.

— Stavroguine, notre Amérique ? dit Verkhovensky en saisissant une dernière fois la main de Nicolas Vsévolodovitch.

— À quoi bon ? répliqua sévèrement celui-ci.

— Vous n’y tenez pas, je m’en doutais ! cria Pierre Stépanovitch dans un violent transport de colère. — Vous mentez, aristocrate vicieux, je ne vous crois pas, vous avez