une minute.
— Un imposteur ? demanda-t-il tout à coup en regardant avec un profond étonnement Pierre Stépanovitch. — Eh ! ainsi voilà enfin votre plan !
— Nous dirons qu’il « se cache », susurra d’une voix tendre Verkhovensky dont l’aspect était, en effet, celui d’un homme ivre. — Comprenez-vous la puissance de ces trois mots : « il se cache » ? Mais il apparaîtra, il apparaîtra. Nous créerons une légende qui dégotera celle des Skoptzi[1]. Il existe, mais personne ne l’a vu. Oh ! quelle légende on peut répandre ! Et, surtout, ce sera l’avènement d’une force nouvelle dont on a besoin, après laquelle on soupire. Qu’y a-t-il dans le socialisme ? Il a ruiné les anciennes forces, mais il ne les a pas remplacées. Ici il y aura une force, une force inouïe même ! Il nous suffit d’un levier pour soulever la terre. Tout se soulèvera !
— Ainsi c’est sérieusement que vous comptiez sur moi ? fit Stavroguine avec un méchant sourire.
— Pourquoi cette amère dérision ? Ne m’effrayez pas. En ce moment je suis comme un enfant, c’est assez d’un pareil sourire pour me causer une frayeur mortelle. Écoutez, je ne vous montrerai à personne : il faut que vous soyez invisible. Il existe mais personne ne l’a vu, il se cache. Vous savez, vous pourrez vous montrer, je suppose, à un individu sur cent mille. « On l’a vu, on l’a vu », se répétera-t-on dans tout le pays. Ils ont bien vu « de leurs propres yeux » Ivan Philippovitch[2], le dieu Sabaoth, enlevé au ciel dans un char. Et vous, vous n’êtes pas Ivan Philippovitch, vous êtes un beau jeune homme, fier comme un dieu, ne cherchant rien pour lui, paré de l’auréole du sacrifice, « se cachant ». L’essentiel, c’est la légende ! Vous les fascinerez, un regard