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suis un coquin, et non un socialiste. Ha, ha, ha ! C’est seulement dommage que le temps nous manque. J’ai promis à Karmazinoff de commencer en mai et d’avoir fini pour la fête de l’Intercession. C’est bientôt ? Ha, ha ! Savez-vous ce que je vais vous dire, Stavroguine ? jusqu’à présent le peuple russe, malgré la grossièreté de son vocabulaire injurieux, n’a pas connu le cynisme. Savez-vous que le serf se respectait plus que Karmazinoff ne se respecte ? Battu, il restait fidèle à ses dieux, et Karmazinoff a abandonné les siens.

— Eh bien, Verkhovensky, c’est la première fois que je vous entends, et votre langage me confond, dit Nicolas Vsévolodovitch ; — ainsi, réellement, vous n’êtes pas un socialiste, mais un politicien quelconque… un ambitieux ?

— Un coquin, un coquin. Vous désirez savoir qui je suis ? Je vais vous le dire, c’est à cela que je voulais arriver. Ce n’est pas pour rien que je vous ai baisé la main. Mais il faut que le peuple croie que nous seuls avons conscience de notre but, tandis que le gouvernement « agite seulement une massue dans les ténèbres et frappe sur les siens ». Eh ! si nous avions le temps ! Le malheur, c’est que nous sommes pressés. Nous prêcherons la destruction… cette idée est si séduisante ! Nous appellerons l’incendie à notre aide… Nous mettrons en circulation des légendes… Ces « sections » de rogneux auront ici leur utilité. Dès qu’il y aura un coup de pistolet à tirer, je vous trouverai dans ces mêmes « sections » des hommes de bonne volonté qui même me remercieront de les avoir désignés pour cet honneur. Eh bien, le désordre commencera ! Ce sera un bouleversement comme le monde n’en a pas encore vu… La Russie se couvrira de ténèbres, la terre pleurera ses anciens dieux… Eh bien, alors nous lancerons… qui ?

— Qui ?

— Le tzarévitch Ivan.

— Qui ?

— Le tzarévitch Ivan ; vous, vous !

Stavroguine réfléchit