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de votre très sage serpent ? Est-il fou, ou non ? » À ces mots, le croiriez-vous ? il sursauta comme si je lui avais soudain asséné, sans sa permission, un coup de fouet par derrière. « Oui, répondit-il, oui, seulement cela ne peut influer… » sur quoi ? il ne l’a pas dit, mais ensuite il est tombé dans une rêverie si profonde et si sombre que son ivresse s’est dissipée. Nous étions alors attablés au traktin Philipoff. Une demi-heure se passa ainsi, puis, brusquement, il déchargea un coup de poing sur la table. « Oui, dit-il, il est fou, seulement cela ne peut pas influer… » Et de nouveau il laissa sa phrase inachevée. Naturellement, je ne vous donne qu’un extrait de notre conversation, la pensée est facile à comprendre : interrogez qui vous voulez vous retrouvez chez tous la même idée, et pourtant, autrefois, cette idée-là n’était venue à l’idée de personne : « Oui dit-on, il est fou ; c’est un homme fort intelligent, mais il peut être fou tout de même. »

Stépan Trophimovitch restait soucieux.

— Et comment Lébiadkine connaît-il Nicolas Vsévolodovitch ?

— Vous pourriez le demander à Alexis Nilitch, qui tout à l’heure, ici, m’a traité d’espion. Moi, je suis un espion et je ne sais rien, mais Alexis Nilitch connaît le fond des choses et se tait.

— Je ne sais rien ou presque rien, répliqua avec irritation l’ingénieur, — vous payez à boire à Lébiadkine pour lui tirer les vers du nez. Vous m’avez amené ici pour me faire parler. Donc vous êtes un espion !

— Je ne lui ai pas encore payé à boire, j’estime que le jeu n’en vaudrait pas la chandelle ; j’ignore quelle importance ses secrets ont pour vous, mais pour moi ils n’en ont aucune. Au contraire, c’est lui qui me régale de champagne et non moi qui lui en paye. Il y a une douzaine de jours, il est venu me demander quinze kopeks, et maintenant il jette l’argent par les fenêtres. Mais vous me donnez une idée et, s’il le faut, je lui payerai à boire, précisément pour