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« B. S. »

Deuxième billet :

« S’il se décide enfin à vous faire visite ce matin, vous agirez, je crois, plus noblement en refusant de le recevoir. Voilà mon avis, je ne sais comment vous en jugerez.

« B. S. »

Troisième et dernier billet :

« Je suis sûre qu’il y a chez vous une pleine charretée d’ordures, et que la fumée de tabac empoisonne votre logement. Je vous enverrai Marie et Thomas ; dans l’espace d’une demi-heure, ils mettront tout en ordre. Mais ne les gênez pas, et restez dans votre cuisine, pendant qu’ils nettoieront. Je vous envoie un tapis de Boukharie et deux vases chinois ; depuis longtemps je me proposais de vous les offrir ; j’y joins mon Téniers (que je vous prête). On peut placer les vases sur une fenêtre ; quant au Téniers, pendez-le à droite sous le portrait de Goethe, là il sera plus en vue. S’il se montre enfin, recevez-le avec une politesse raffinée, mais tâchez de mettre la conversation sur des riens, sur quelque sujet scientifique, faites comme si vous retrouviez un ami que vous auriez quitté hier. Pas un mot de moi. Peut-être passerai-je chez vous dans la soirée.

« B. S. »

« _P. S._ S’il ne vient pas aujourd’hui, il ne viendra jamais. »

Après avoir pris connaissance de ces billets, je m’étonnai de l’agitation que de pareilles niaiseries causaient à Stépan Trophimovitch. En l’observant d’un œil anxieux, je remarquai tout à coup que, pendant ma lecture, il avait remplacé sa cravate blanche accoutumée par une cravate rouge. Son chapeau et sa canne se trouvaient sur la table. Il était pâle, et ses mains tremblaient.

— Je ne veux pas connaître ses préoccupations ! cria-t-il avec colère en réponse au regard interrogateur que je fixais sur lui. - — Je m’en fiche ! Elle a le courage de s’inquiéter de Karmazinoff, et elle ne répond pas à mes lettres !