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après m’avoir une dernière fois salué d’un signe de tête. Je restai tout sot. C’était exactement comme si j’avais moi-même ramassé son sac. Pendant cinq minutes, je me figurais que j’étais un homme déshonoré. Ensuite je partis d’un éclat de rire. Cette rencontre me parut si drôle que je résolus de la raconter à Stépan Trophimovitch pour l’égayer un peu.

III

Cette fois je constatai, non sans surprise, un changement extraordinaire en lui. Dès que je fus entré, il s’avança vers moi avec un empressement particulier et se mit à m’écouter ; seulement il avait l’air si distrait qu’il ne comprit évidemment pas les premiers mots de mon récit. Mais à peine eus-je prononcé le nom de Karmazinoff que je le vis perdre tout sang-froid.

— Ne me parlez plus, taisez-vous ! s’écria-t-il avec une sorte de rage, — voilà, voilà, regardez, lisez ! lisez !

Il prit dans un tiroir et jeta sur la table trois petits morceaux de papier, sur lesquels Barbara Pétrovna avait griffonné à la hâte quelques lignes au crayon. Le premier billet remontait à l’avant-veille, le second avait été écrit la veille, et le dernier était arrivé depuis une heure. Tous trois, fort insignifiants, avaient trait à Karmazinoff, et dénotaient chez Barbara Pétrovna la crainte puérile que le grand écrivain n’oubliât de lui faire visite.

Premier billet :

« S’il daigne enfin vous aller voir aujourd’hui, je vous prie de ne pas lui parler de moi. Pas le moindre mot. Ne me rappelez d’aucune manière à son attention.