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répondu à l’attente de sa bienfaitrice. « Il n’y aura pas d’erreurs dans cette vie », avait dit Barbara Pétrovna, lorsque la fillette n’était âgée que de douze ans, et, comme elle avait pour habitude de s’attacher passionnément à ses idées, elle résolut sur le champ de donner à Dacha l’éducation qu’elle aurait donnée à sa propre fille. Elle confia l’enfant aux soins d’une gouvernante anglaise, miss Kreegs ; cette personne resta dans la maison jusqu’à ce que son élève eût seize ans, puis on se priva brusquement de ses services. On fit venir des professeurs du gymnase, entre autres un Français authentique, ce dernier était chargé d’enseigner la langue française à Dacha, mais il se vit, lui aussi, brusquement congédié presque chassé. On engagea comme maîtresse de piano une dame noble, veuve et sans fortune. Toutefois le principal percepteur fut Stépan Trophimovitch. À vrai dire, il avait le premier découvert Dacha ; cette enfant tranquille l’avait intéressé, et il s’était mis à lui donner des leçons, avant que Barbara Pétrovna s’occupât d’elle. Je le répète, il exerçait sur les babies une séduction étonnante. De huit à onze ans, Élisabeth Nikolaïevna Touchine étudia sous sa direction (bien entendu, il l’instruisait gratuitement, et, pour rien au monde, il n’aurait consenti à accepter de l’argent des Drozdoff). Mais lui- même s’était épris de la charmante enfant et lui racontait toutes sortes de poèmes sur l’origine de l’univers, la formation de la terre, l’histoire de l’humanité. Les leçons concernant les premiers peuples et l’homme primitif étaient plus attachantes que des contes arabes. Lisa se pâmait à ces récits, et, chez elle, imitait son professeur de la façon la plus comique. Stépan Trophimovitch le sut ; il la guetta, et un jour la surprit en flagrant délit de parodie. Lisa confuse se jeta dans ses bras en pleurant ; il pleura aussi — de tendresse. Mais bientôt Lisa quitta le pays, et Dacha resta seule. Quand celle-ci eut pour maîtres des professeurs du gymnase, Stépan Trophimovitch ne s’occupa plus de son éducation, et, peu à peu, cessa de faire attention à elle. Longtemps plus tard, un jour qu’il dînait