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et il lui avait riposté sur le même ton.

— Peu après, ajouta Prascovie Ivanovna, nous avons fait la connaissance d’un jeune homme qui doit être le neveu de votre « professeur », du moins, il porte le même nom…

— C’est son fils et non pas son neveu, rectifia Barbara Pétrovna.

Prascovie Ivanovna ne pouvait jamais retenir le nom de Stépan Trophimovitch, et, en parlant de lui, l’appelait toujours « le professeur ».

— Eh bien, va pour son fils ; moi, cela m’est égal. C’est un jeune homme comme les autres, très vif et très dégourdi, mais voilà tout. Ici, Lisa elle-même agit mal : elle se mit en frais d’amabilité pour le jeune homme afin d’éveiller la jalousie chez Nicolas Vsévolodovitch. Je ne la blâme pas trop d’avoir eu recours à un procédé que les jeunes filles ont coutume d’employer et qui est même assez gentil. Seulement, loin de devenir jaloux, Nicolas Vsévolodovitch se lia d’amitié avec son rival ; on aurait dit qu’il ne remarquait rien ou que tout cela lui était indifférent. Lisa en fut irritée. Le jeune homme partit brusquement, comme si une affaire urgente l’eût obligé de nous quitter sans retard. Dès que la moindre occasion s’en présentait, Lisa cherchait noise à Nicolas Vsévolodovitch. Elle s’aperçut que celui-ci causait quelquefois avec Dacha, ce qui la rendit furieuse. Pour moi, matouchka, je ne vivais plus. Les médecins m’ont défendu les émotions violentes, et ce lac si vanté avait fini par m’exaspérer : je n’y avais gagné qu’un mal de dents et un rhumatisme. J’ai lu, imprimé quelque part, que le lac de Genève fait du tort aux dents : c’est une propriété qu’il a. Sur ces entrefaites, Nicolas Vsévolodovitch reçut une lettre de la comtesse, et, le même jour, prit congé de nous. Ma fille et lui se séparèrent en amis. Pendant qu’elle le conduisait à la gare, Lisa fut fort gaie, fort insouciante, et rit beaucoup, seulement, c’était une gaieté d’emprunt. Lorsqu’il fut parti, elle devint très soucieuse, mais ne prononça plus un seul mot à son sujet. Je vous conseillerais