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domaine dans notre province, mais le service du général Ivan Ivanovitch l’avait toujours mise dans l’impossibilité d’y séjourner. Le général étant mort l’année précédente, l’inconsolable Prascovie Ivanovna se rendit avec sa fille à l’étranger. Ce voyage était motivé par diverses raisons : la générale voulait notamment faire une cure de raisin à Vernex-Montreux, pendant la seconde moitié de l’été. Après son retour en Russie, elle comptait se fixer définitivement parmi nous. Elle possédait en ville une grande maison qu’on n’avait pas habitée depuis de longues années et dont les volets restaient fermés. Les Drozdoff étaient des gens riches. Prascovie Ivanovna, mariée en premières noces au capitaine de cavalerie Touchine, était, comme son amie de pension Barbara Pétrovna, la fille d’un opulent fermier qui lui avait constitué une grosse dot en la donnant pour femme à M. Touchine. Ce dernier n’était pas non plus sans ressource, et, quand il mourut, il laissa un joli capital à sa fille unique Lisa, alors âgée de sept ans. Maintenant qu’Élisabeth Nikolaïevna approchait de sa vingt-deuxième année, on pouvait hardiment évaluer sa fortune personnelle à deux cents mille roubles, sans parler de l’héritage qui devait lui revenir après la mort de sa mère, celle-ci n’ayant pas eu d’enfant de son second mariage.

Barbara Pétrovna rentra dans ses foyers, enchantée du résultat de son voyage. Elle s’applaudissait d’avoir réussi à s’entendre avec Prascovie Ivanovna ; aussi, à peine arrivée, se hâta-t-elle de tout raconter à Stépan Trophimovitch ; elle se montra même fort expansive avec lui, ce qu’elle n’était plus guère depuis quelque temps.

— Hurrah ! s’écria-t-il en faisant claquer ses doigts.

Il était ravi, et cela d’autant plus que jusqu’au retour de son amie il avait été fort abattu. En partant pour l’étranger, elle ne lui avait même pas fait des adieux convenables et ne lui avait rien confié de ses projets, peut-être par crainte qu’il ne commît quelque indiscrétion. La générale était alors fâchée contre lui parce qu’il venait d’attraper une