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Cela est tout à fait passé de mode aujourd’hui. On parle grossièrement, mais simplement. Vous en revenez toujours à vos vingt ans ! ç’a été de part et d’autre vingt années d’amour-propre, et rien de plus. Chacune des lettres que vous m’adressiez était écrite non pour moi, mais pour la postérité. Vous êtes un styliste et non un ami ; l’amitié n’est qu’un beau mot pour désigner un mutuel épanchement d’eau sale…

— Mon Dieu, que de paroles qui ne sont pas de vous ! Ce sont des leçons apprises par cœur ! Et déjà ils vous ont fait revêtir leur uniforme ! Vous aussi, vous êtes dans la joie ; vous aussi, vous êtes au soleil. Chère, chère, pour quel plat de lentilles vous leur avez vendu votre liberté !

— Je ne suis pas un perroquet pour répéter les paroles d’autrui, reprit avec colère Barbara Pétrovna. Soyez sûr que mon langage m’appartient. — Qu’avez-vous fait pour moi durant ces vingt ans ? Vous me refusiez jusqu’aux livres que je faisais venir pour vous, et dont les pages ne seraient pas encore coupées si on ne les avait donnés à relier. Quelles lectures me recommandiez-vous, quand, dans les premières années, je sollicitais vos conseils ? Capefigue, toujours Capefigue. Mon développement intellectuel vous faisait ombrage, et vous preniez vos mesures en conséquence. Mais cependant on rit de vous. Je l’avoue, je ne vous ai jamais considéré que comme un critique, pas autre chose. Pendant notre voyage à Pétersbourg, quand je vous ai déclaré que je me proposais de fonder un recueil périodique et de consacrer toute ma vie à cette publication, vous m’avez aussitôt regardée d’un air moqueur et vous êtes devenu tout d’un coup très arrogant.

— Ce n’était pas cela ; vous vous êtes méprise… nous craignions alors des poursuites…

— Si, c’était bien cela, car, à Pétersbourg, vous ne pouviez craindre aucune poursuite. Plus tard, en février, lorsque se répandit le bruit de la prochaine apparition de cet organe, vous vîntes me trouver tout effrayé et vous exigeâtes de moi une lettre certifiant que vous étiez tout à fait étranger à la publication projetée, que les jeunes gens se réunissaient chez