Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 1.djvu/370

Cette page n’a pas encore été corrigée

mieux recevoir et donner un bal avec le plus de goût. Barbara Pétrovna n’était plus à reconnaître. L’altière matrone qui, naguère encore, vivait dans une retraite si profonde, semblait maintenant passionnée pour les distractions mondaines. Du reste, ce changement était peut-être plus apparent que réel.

Son premier soin, en arrivant à Skvorechniki, fut de visiter toutes les chambres de la maison en compagnie du fidèle Alexis Égorovitch et de Fomouchka, qui était un habile décorateur. Alors commencèrent de graves délibérations : quels meubles, quels tableaux, quels bibelots ferait-on venir de la maison de ville ? Où les placerait-on ? Comment utiliserait-on le mieux l’orangerie et les fleurs ? Où poserait-on des tentures neuves ? En quel endroit le buffet serait-il installé ? N’y en aurait-il qu’un ou bien en organiserait-on deux ? etc., etc. Et voilà qu’au milieu de ces préoccupations l’idée vint tout à coup à Barbara Pétrovna d’envoyer sa voiture chercher Stépan Trophimovitch.

Celui-ci, depuis longtemps prévenu que son ancienne amie désirait lui parler, attendait de jour en jour cette invitation. Lorsqu’il monta en voiture, il fit le signe de la croix : son sort allait se décider. Il trouva Barbara Pétrovna dans la grande salle ; assise sur un petit divan, en face d’un guéridon de marbre, elle avait à la main un crayon et un papier ; Fomouchka mesurait avec un mètre la hauteur des fenêtres et de la tribune ; la générale inscrivait les chiffres et faisait des marques sur le parquet. Sans interrompre sa besogne, elle inclina la tête du côté de Stépan Trophimovitch, et, quand ce dernier balbutia une formule de salutation, elle lui tendit vivement la main ; puis, sans le regarder, elle lui indiqua une place à côté d’elle.

Je m’assis et j’attendis pendant cinq minutes, « en comprimant les battements de mon cœur », me raconta-t-il ensuite. — J’avais devant moi une femme bien différente de celle que j’avais connue durant vingt ans. La profonde conviction que tout était fini me donna une force dont elle-