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plus tout jeune) descendirent aussi de voiture et s’avancèrent vers l’icône en se frayant avec assez de sans-gêne un chemin à travers la cohue. Ni l’un ni l’autre ne se découvrit, et l’un d’eux mit son pince-nez. La foule manifesta son mécontentement par un sourd murmure. Le jeune homme au pince- nez tira de sa poche un porte-monnaie bourré de billets de banque et y prit un kopek qu’il jeta sur le plateau ; après quoi ces deux messieurs, riant et parlant très haut, regagnèrent la calèche. Soudain arriva au galop Élisabeth Nikolaïevna qu’escortait Maurice Nikolaïévitch. Elle mit pied à terre, jeta les rênes à son compagnon resté à cheval sur son ordre, et s’approcha de l’obraz. À la vue du don dérisoire que venait de faire le monsieur au pince-nez, la jeune fille devint rouge d’indignation ; elle ôta son chapeau rond et ses gants, s’agenouilla sur le trottoir boueux en face de l’image, et à trois reprises se prosterna contre le sol. Ensuite elle ouvrit son porte-monnaie ; mais comme il ne contenait que quelques grivas[15], elle détacha aussitôt ses boucles d’oreilles en diamant et les déposa sur le plateau.

— On le peut, n’est-ce pas ? C’est pour la parure de l’icône ? demanda-t-elle au moine d’une voix agitée.

— On le peut, tout don est une bonne œuvre.

La foule muette assista à cette scène sans exprimer ni blâme, ni approbation ; Élisabeth Nikolaïevna, dont l’amazone était toute couverte de boue, remonta à cheval et disparut.

II

Deux jours après, je la rencontrai en nombreuse compagnie : elle faisait partie d’une société qui remplissait trois voitures autour desquelles galopaient plusieurs cavaliers. Dès