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immémorial renferme un grand icône représentant la Mère de Dieu. Or, une nuit, quelqu’un pratiqua une brèche dans le grillage placé devant la niche, brisa la vitre, et enleva plusieurs des perles et des pierres précieuses dont l’icône était orné. Avaient-elles une grande valeur ? Je l’ignore, mais au vol se joignait ici une dérision sacrilège : derrière la vitre brisée on trouva, dit-on, le matin, une souris vivante. Aujourd’hui, c’est-à-dire quatre mois après l’événement, on a acquis la certitude que le voleur fut le galérien Fedka, mais on ajoute que Liamchine participa à ce méfait. Alors personne ne parla de lui et ne songea à le soupçonner ; à présent tout le monde assure que c’est lui qui a déposé la souris dans la niche. Je me rappelle que sur le moment toutes nos autorités perdirent quelque peu la tête. Le peuple se rassembla aussitôt sur les lieux, et pendant toute la matinée une centaine d’individus ne cessa de stationner en cet endroit ; ceux qui s’en allaient était immédiatement remplacés par d’autres, les nouveaux venus faisaient le signe de la croix, baisaient l’icône, et déposaient une offrande sur un plateau près duquel se tenait un moine. Il était trois heures de l’après-midi quand l’administration se douta enfin qu’on pouvait interdire l’attroupement et obliger les curieux à circuler, une fois leur piété satisfaite. Cette malheureuse affaire produisit sur Von Lembke l’impression la plus déplorable. À ce que dit plus tard Julie Mikhaïlovna, c’est à partir de ce jour-là qu’elle commença à remarquer chez son mari cet étrange abattement qui ne l’a point quitté jusqu’à présent.

Vers deux heures, je passai sur la place du marché ; la foule était silencieuse, les visages avaient une expression grave et morne ; arriva en drojki un marchand gras et jaune ; descendu de voiture, il se prosterna jusqu’à terre, baisa l’icône et mit un rouble sur le plateau ; ensuite il remonta en soupirant dans son drojki et s’éloigna. Puis je vis s’approcher une calèche où se trouvaient deux de nos dames en compagnie de deux de nos polissons. Les jeunes gens (dont l’un n’était