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pendable. Il s’entendit avec un séminariste qui battait le pavé en attendant une place de professeur dans un collège ; puis tous deux allèrent trouver la marchande sous prétexte de lui acheter des livres, et, sans qu’elle s’en aperçût, ils glissèrent dans son sac tout un lot de photographies obscènes que leur avait données expressément pour cet objet, comme on le sut plus tard, un vieux monsieur très respecté dont je tairai le nom. Ce vieillard, décoré d’un ordre des plus honorifiques, aimait, selon son expression, « le rire sain et les bonnes farces ». Quand la pauvre femme se mit en devoir d’exhiber au bazar sa pieuse marchandise, les photographies sortirent du sac mêlées aux évangiles. Ce furent d’abord des rires, puis des murmures ; un rassemblement se forma, et aux injures allaient succéder les coups, lorsque la police intervint. On emmena la colporteuse au poste, et, le soir seulement, elle fut relâchée grâce aux démarches de Maurice Nikolaïévitch qui avait appris avec indignation les détails intimes de cette vilaine histoire. Julie Mikhaïlovna voulut alors interdire à Liamchine l’accès de sa demeure, mais, le même soir, toute la bande des nôtres le lui amena et la conjura d’entendre une nouvelle fantaisie pour piano que le Juif venait de composer sous ce titre : « la Guerre franco-prussienne. » C’était une sorte de pot pourri où les motifs patriotiques de la Marseillaise alternaient avec les notes égrillardes de Mein lieber Augustin. Cette bouffonnerie obtint un succès de fou rire, et Liamchine rentra en faveur auprès de la gouvernante…

S’il faut en croire la voix publique, ce drôle prit part aussi à un autre fait non moins révoltant, que ma chronique ne peut passer sous silence.

Un matin, la population de notre ville apprit à son réveil qu’une odieuse profanation avait été commise chez nous. À l’entrée de notre immense marché est située la vieille église de la Nativité de la Vierge, l’un des monuments les plus anciens que possède notre cité. Dans le mur extérieur, près de la porte, existe une niche qui depuis un temps