Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 1.djvu/354

Cette page n’a pas encore été corrigée

ou chez Barbara Pétrovna, à Skvorechniki ? Une objection s’élevait contre ce dernier choix : Skvorechniki était un peu loin, mais plusieurs membres du comité faisaient observer que là on serait « plus libre ». Barbara Pétrovna elle-même désirait vivement obtenir la préférence pour sa maison. Il serait difficile de dire comment cette femme orgueilleuse en était venue presque à rechercher les bonnes grâces de Julie Mikhaïlovna. Apparemment elle était bien aise de voir que de son côté la gouvernante se confondait en politesses vis-à-vis de Nicolas Vsévolodovitch et le traitait avec une considération tout à fait exceptionnelle. Je le répète encore une fois : grâce aux demi-mots sans cesse chuchotés par Pierre Stépanovitch, toute la maison du gouverneur était persuadée que le jeune Stavroguine tenait par les liens les plus intimes au monde le plus mystérieux, et qu’assurément il avait été envoyé chez nous avec quelque mission.

L’état des esprits était alors étrange. Dans la société régnait une légèreté extraordinaire, un certain dévergondage d’idées qui avait quelque chose de drôle, sans être toujours agréable. Ce phénomène s’était produit brusquement. On eût dit qu’un vent de frivolité avait tout d’un coup soufflé sur la ville. Plus tard, quand tout fut fini, on accusa Julie Mikhaïlovna, son entourage et son influence. Mais il est douteux qu’elle ait été la seule coupable. Au début, la plupart louaient à l’envi la nouvelle gouvernante qui savait réunir les divers éléments sociaux et rendait ainsi l’existence plus gaie. Il y eut même quelques faits scandaleux dont Julie Mikhaïlovna fut, du reste, complètement innocente ; loin de s’en émouvoir, le public se contenta d’en rire. Les rares personnes qui avaient échappé à la contagion générale, si elles n’approuvaient pas, s’abstenaient de protester, du moins dans les commencements ; quelques-unes souriaient.

Dans la ville arriva une colporteuse de livres qui vendait l’Évangile ; c’était une femme considérée, quoiqu’elle fût de condition bourgeoise. Liamchine s’avisa de lui jouer un tour