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— Et cette Julie Mikhaïlovna compte que j’irai lire chez elle !

— C’est-à-dire qu’elle n’a aucun besoin de toi. Au contraire, elle n’agit ainsi que par amabilité à ton égard et pour faire une lèche à Barbara Pétrovna. Mais il est clair que tu n’oseras pas refuser. D’ailleurs toi-même, je pense, tu ne demandes pas mieux que de faire cette lecture, ajouta en souriant Pierre Stépanovitch, — vous autres vieux, vous avez tous un amour-propre d’enfer. Pourtant, écoute, il ne faut pas que ce soit trop ennuyeux. Tu t’occupes de l’histoire de l’Espagne, n’est-ce pas ? L’avant-veille tu me montreras la chose, j’y jetterai un coup d’œil. Autrement, tu endormiras ton auditoire.

La grossièreté de ces observations était évidemment préméditée. Pierre Stépanovitch avait l’air de croire qu’il était impossible de parler plus poliment quand on s’adressait à Stépan Trophimovitch. Celui-ci feignait toujours de ne point remarquer les insolences de son fils, mais il était de plus en plus agité par les nouvelles qu’il venait d’apprendre.

— Et c’est elle, _elle-même, _qui me fait dire cela par… _vous ? _ demanda-t-il en pâlissant.

— C’est-à-dire, vois-tu ? elle veut te donner un rendez-vous pour avoir une explication avec toi, c’est un reste de vos habitudes sentimentales. Tu as coqueté avec elle pendant vingt ans, et tu l’as accoutumée aux procédés les plus ridicules. Mais sois tranquille, maintenant ce n’est plus cela du tout ; elle-même répète sans cesse que maintenant seulement elle commence à « voir clair ». Je lui ai nettement fait comprendre que toute votre amitié n’était qu’un mutuel épanchement d’eau sale. Elle m’a raconté beaucoup de choses, mon ami ; fi ! quel emploi de laquais tu as rempli pendant tout ce temps. J’en ai même rougi pour toi.

— J’ai rempli un emploi de laquais ?

— Pire que cela. Tu as été un parasite, c’est-à-dire un laquais bénévole. Nous sommes paresseux, mais si nous n’aimons pas le travail, nous aimons bien l’argent. À présent elle-