Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 1.djvu/327

Cette page n’a pas encore été corrigée

— Et quelle sera la fin ? demanda en souriant Nicolas Vsévolodovitch.

— Vous n’êtes pas blessé et… vous n’avez pas versé le sang ? demanda à son tour la jeune fille sans répondre à la question qui lui était faite.

— Ç’a été bête ; je n’ai tué personne, rassurez-vous. Du reste, vous apprendrez tout aujourd’hui même par la voix publique. Je suis un peu souffrant.

— Je m’en vais. Vous ne déclarerez pas votre mariage aujourd’hui ! ajouta-t-elle avec hésitation.

— Ni aujourd’hui, ni demain ; après-demain, je ne sais pas, peut- être que nous serons tous morts, et ce sera tant mieux. Laissez- moi, laissez-moi enfin.

— Vous ne perdrez pas l’autre… folle ?

— Je ne perdrai ni l’une ni l’autre des deux folles, mais celle qui est intelligente, je crois que je la perdrai : je suis si lâche et si vil, Dacha, que peut-être en effet je vous appellerai quand arrivera la « fin », comme vous dites, et malgré votre intelligence vous viendrez. Pourquoi vous perdez-vous vous-même ?

— Je sais qu’à la fin je resterai seule avec vous et… j’attends ce moment.

— Mais si alors je ne vous appelle pas, si je vous fuis ?

— C’est impossible, vous m’appellerez.

— Il y a dans cette conviction beaucoup de mépris pour moi.

— Vous savez qu’il n’y a pas que du mépris.

— C’est donc qu’il y en a tout de même ?

— Je n’ai pas dit cela. Dieu m’en est témoin, je souhaiterais on ne peut plus que vous n’eussiez jamais besoin de moi.

— Une phrase en vaut une autre. De mon côté, je désirerais ne point vous perdre.

— Jamais vous ne pourrez me perdre, et vous-même vous le savez mieux que personne, se hâta de répondre Daria Pavlovna qui mit dans ces paroles une énergie particulière. — Si je ne reste pas avec vous, je me ferai Soeur de la Miséricorde, garde-malade,