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avait été victime était un outrage rejaillissant sur toute notre société. Ainsi en jugea l’opinion publique. Le club commença par rejeter de son sein M. Stavroguine, dont l’exclusion fut votée à l’unanimité ; ensuite, on se décida à adresser une plainte au gouverneur : Son Excellence était priée, — en attendant le dénouement que cette affaire pourrait recevoir devant les tribunaux, — d’user immédiatement des pouvoirs administratifs à elle confiés, pour mettre à la raison un querelleur et un bretteur de la capitale, dont les agissements brutaux compromettaient la tranquillité de tous les gens comme il faut de notre ville. On ajoutait avec une pointe de causticité que M. Stavroguine lui-même n’était peut-être pas au-dessus des lois. Cette phrase était une allusion maligne à l’influence présumée de Barbara Pétrovna sur le gouverneur. Celui-ci se trouvait alors absent, mais on savait qu’il reviendrait bientôt : il était allé dans une localité voisine tenir sur les fonts baptismaux l’enfant d’une jeune et jolie veuve, que son mari, en mourant, avait laissée dans une situation intéressante. En attendant, on fit à l’offensé Pierre Pavlovitch une véritable ovation : on lui prodigua les poignées de mains et les embrassades, toute la ville l’alla voir ; on songea même à lui offrir un banquet par souscription, et l’on ne renonça à cette idée que sur ses instantes prières ; peut-être aussi les organisateurs de la manifestation finirent-ils par comprendre qu’après tout il n’y avait pas lieu de tant glorifier un homme parce qu’on l’avait mené par le nez.

Et pourtant comment cela était-il arrivé ? Comment cela avait-il pu arriver ? Chose digne de remarque, personne chez nous n’attribuait à la folie l’acte étrange de Nicolas Vsévolodovitch. Donc, on croyait que, même en possession de sa raison, il était capable de se conduire ainsi. De mon côté, aujourd’hui encore je ne sais comment expliquer le fait, bien qu’un événement survenu peu après ait paru en fournir une explication satisfaisante. J’ajouterai que, quatre ans plus tard, Nicolas Vsévolodovitch, discrètement