, nous nous sommes disputés sur la question de savoir qui porterait le sac, et, dans la discussion, il a reçu un mauvais coup.
— Continue à tuer et à voler.
— C’est mot pour mot le conseil que me donne aussi Pierre Stépanovitch, parce qu’il est extraordinairement avare et dur à la détente. En dehors de cela, il n’a pas pour un groch de foi au Créateur céleste qui a fait l’homme avec de la terre, il dit que la nature seule a tout organisé, jusqu’à la dernière bête. De plus, il ne comprend pas que dans notre position on ne peut se passer d’un secours bienfaisant. Vous voulez le lui faire comprendre, il vous regarde comme un mouton regarde l’eau. Tenez, quand le capitaine Lébiadkine, que vous êtes allé voir tout à l’heure, demeurait chez Philippoff, une fois sa porte est restée grande ouverte toute une nuit, lui-même était couché par terre ivre-mort, et sur le parquet traînait quantité d’argent qu’il avait laissé tomber de ses poches. J’ai eu l’occasion de le voir de mes yeux parce que, dans notre position, quand on n’est pas secouru, il faut pourtant vivre…
— Comment, de tes yeux ? Tu es donc entré chez lui pendant la nuit ?
— Peut-être, seulement personne ne le sait.
— Pourquoi ne l’as-tu pas assassiné ?
— Je m’en suis abstenu par calcul. Pourquoi, me suis-je dit, prendre maintenant cent cinquante roubles quand, en attendant un peu, je puis en prendre quinze cents ? Le capitaine Lébiadkine, en effet (je l’ai entendu de mes oreilles), a toujours beaucoup compté pour vous : il n’est pas de traktir, pas de cabaret où, étant ivre, il ne l’ait déclaré hautement ; ce que voyant, j’ai, moi aussi, mit tout mon espoir dans Votre Altesse. Je vous parle, monsieur, comme à un père ou à un frère, car jamais je ne dirai cela ni à Pierre Stépanovitch, ni à personne. Ainsi Votre Altesse aura-t-elle la bonté de me donner trois petits roubles ? Vous devriez bien, monsieur, me fixer, c’est-à-dire me faire connaître la vérité vraie, vu que nous ne pouvons nous passer de secours.
Nicolas Vsévolo