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— Hum… pour rien au monde je n’irai là.

— Même avec moi ?

— Mais qui êtes-vous donc pour que j’aille avec vous ? Quarante années durant être perchée sur une montagne avec lui — il me la baille belle ! Et quels gens patients nous avons aujourd’hui en vérité ! Non, il ne se peut pas que le faucon soit devenu un hibou. Ce n’est pas là mon prince ! déclara-t-elle en relevant fièrement la tête.

Le visage de Nicolas Vsévolodovitch s’assombrit.

— Pourquoi m’appelez-vous prince et… et pour qui me prenez- vous ? demanda-t-il vivement.

— Comment ? Est-ce que vous n’êtes pas prince ?

— Je ne l’ai même jamais été.

— Ainsi vous-même, vous avouez carrément devant moi que vous n’êtes pas prince !

— Je vous répète que je ne l’ai jamais été.

Elle frappa ses mains l’une contre l’autre.

— Seigneur ! Je m’attendais à tout de la part de _ses_ ennemis, mais je n’aurais jamais cru possible une pareille insolence ! Vit- il encore ? vociféra-t-elle hors d’elle-même en s’élançant sur Nicolas Vsévolodovitch, — tu l’as tué, n’est-ce pas ? Avoue !

Stavroguine fit un saut en arrière.

— Pour qui me prends-tu ? dit-il ; ses traits étaient affreusement altérés, mais il était difficile en ce moment de faire peur à Marie Timoféievna, elle poursuivit avec un accent de triomphe :

— Qui le connaît ? Qui sait ce que tu es et d’où tu sors ? Mais durant ces cinq années mon cœur a pressenti toute l’intrigue ! Je m’étonnais aussi, je me disais : Qu’est ce que c’est que ce chat- huant ? Non, mon cher, tu es un mauvais acteur, pire même que Lébiadkine. Présente mes hommages à la comtesse et dis-lui que je la prie d’envoyer quelqu’un de plus propre. Elle t’a payé, parle ! Tu es employé comme marmiton chez elle ! j’ai percé à jour votre imposture, je vous comprends tous, jusqu’au dernier !