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— Remettez-vous, de grâce ; pourquoi avoir peur ? Est-il possible que vous ne me reconnaissiez pas ? ne cessait de répéter Nicolas Vsévolodovitch, mais, cette fois, il fut longtemps sans pouvoir la rassurer ; elle le regardait silencieusement, en proie à une cruelle incertitude, et l’on voyait qu’elle faisait de pénibles efforts pour concentrer sa pauvre intelligence sur une idée. Tantôt elle baissait les yeux, tantôt elle les relevait brusquement et enveloppait le visiteur d’un regard rapide. À la fin, elle parut, sinon se calmer, du moins prendre un parti.

— Asseyez-vous, je vous prie, à côté de moi, afin que plus tard je puisse vous examiner, dit-elle d’une voix assez ferme ; il était clair qu’une nouvelle pensée venait de se faire jour dans son esprit. — Mais, pour le moment, ne vous inquiétez pas, moi-même je ne vous regarderai pas, je tiendrai les yeux baissés. Ne me regardez pas non plus jusqu’à ce que je vous le demande. Asseyez- vous donc, ajouta-t-elle avec impatience.

Elle était visiblement dominée de plus en plus par une impression nouvelle.

Nicolas Vsévolodovitch s’assit et attendit ; il y eut un assez long silence.

— Hum ! je trouve tout cela étrange, murmura-t-elle tout à coup d’un ton presque méprisant ; sans doute je fais beaucoup de mauvais rêves ; seulement pourquoi vous ai-je vu en songe sous ce même aspect ?

— Allons, laissons là les rêves, répliqua le visiteur impatienté, et, malgré la défense qu’elle lui en avait faite, il se retourna vers elle. Peut-être ses yeux avaient-ils la même expression que tantôt. À plusieurs reprises il remarqua que Marie Timoféievna aurait bien voulu le regarder, qu’elle en avait grande envie, mais que, se roidissant contre son désir, elle s’obstinait à contempler le parquet.

— Écoutez, prince, écoutez, dit-elle en élevant soudain la voix, — écoutez, prince…

— Pourquoi vous êtes-vous détournée ? Pourquoi ne me regardez-vous