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est terriblement avare. Il pense que je n’oserai pas vous déranger avant qu’il m’en ait donné l’ordre, eh bien, vrai comme devant Dieu, monsieur, voilà déjà la quatrième nuit que j’attends Votre Grâce sur ce pont, car je n’ai pas besoin de Pierre Stépanovitch pour trouver mon chemin. Il vaut mieux, me suis-je dit, saluer une botte qu’une chaussure de tille[12].

— Mais qui t’a dit que je passerais nuitamment sur ce pont ?

— Je l’ai appris indirectement, surtout grâce à la bêtise du capitaine Lébiadkine qui ne sait rien garder pour lui… Ainsi Votre Grâce me donnera, par exemple, trois roubles pour les trois jours et les trois nuits que je me suis morfondu à l’attendre. Je ne parle pas de mes vêtements qui ont été tout trempés par la pluie, c’est un détail que je laisse de côté par délicatesse.

— Je vais à gauche et toi à droite, nous voici arrivés au bout du pont. Écoute, Fédor, j’aime que l’on comprenne mes paroles une fois pour toutes : je ne te donnerai pas un kopek, à l’avenir que je ne te rencontre plus ici ni ailleurs, je n’ai pas besoin de toi et n’en aurai jamais besoin. Si tu ne tiens pas compte de cet avertissement, je te garrotterai et te livrerai à la police. Décampe !

— Eh ! donnez-moi au moins quelque chose pour vous avoir tenu compagnie, j’ai égayé votre promenade.

— File !

— Mais connaissez-vous votre chemin par ici ? Il y a tant de ruelles qui s’entrecroisent… Je pourrais vous guider, car cette ville, on dirait vraiment que le diable la portait dans un panier et qu’il l’a éparpillée ensuite sur le sol.

— Attends, je vais te garrotter ! dit Nicolas Vsévolodovitch en se retournant vers Fedka d’un air menaçant.

— Oh ! monsieur, vous n’aurez pas le courage de faire du mal à un orphelin.