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— Je comprends que de la sorte vous vous mettez au-dessus de tous les usages, en vue de buts plus élevés, — répondit avec une nuance de raillerie Nicolas Vsévolodovitch ; — Je vois aussi avec peine que vous avez la fièvre.

— Je vous prie de me respecter ! cria Chatoff, — j’exige votre respect ! Je le réclame non pour ma personnalité, — je m’en moque ! — mais pour autre chose, durant les quelques instants que durera notre entretien… Nous sommes deux êtres qui se sont rencontrés dans l’infini… qui se voient pour la dernière fois. Laissez ce ton et prenez celui d’un homme ! Parlez au moins une fois dans votre vie un langage humain. Ce n’est pas pour moi, c’est pour vous que je vous demande cela. Comprenez-vous que vous devez me pardonner ce coup de poing qui vous a fourni l’occasion de connaître votre immense force… Voilà encore sur vos lèvres ce dédaigneux sourire de l’homme du monde. Oh ! quand me comprendrez- vous ? Dépouillez donc le baritch[10] ! Comprenez donc que j’exige cela, je l’exige, sinon je me tais, je ne parlerai pour rien au monde !

Son exaltation touchait aux limites du délire. Nicolas Vsévolodovitch fronça le sourcil et devint plus sérieux.

— Si j’ai consenti à rester encore une demi-heure chez vous alors que le temps est si précieux pour moi, dit-il gravement, — croyez que j’ai l’intention de vous écouter à tout le moins avec intérêt et… et je suis sûr d’entendre sortir de votre bouche beaucoup de choses nouvelles.

Il s’assit sur une chaise.

— Asseyez-vous ! cria Chatoff qui lui-même prit brusquement un siège.

— Permettez-moi pourtant de vous rappeler, reprit Stavroguine, — que j’avais commencé à vous parler de Marie Timoféievna, je voulais vous adresser, à son sujet, une demande qui, pour elle du moins, est fort importante…

— Eh bien ? fit Chatoff avec une mauvaise humeur