teniez sur vos gardes. Selon moi, vous auriez tort de mépriser le danger, sous prétexte que ce sont des imbéciles ; il ne s’agit pas ici de leur intelligence, et, du reste, leur main s’est déjà levée sur d’autres gens que vous et moi. Mais il est onze heures et quart, ajouta-t-il en regardant sa montre et en se levant ; — je désirerais vous adresser une question qui n’a aucunement trait à ce sujet.
— Pour l’amour de Dieu ! s’écria Chatoff, et il quitta précipitamment sa place.
— C’est-à-dire ? demanda le visiteur en interrogeant des yeux le maître du logis.
— Faites, faites votre question, pour l’amour de Dieu, répéta Chatoff en proie à une agitation indicible, — mais vous me permettrez de vous en faire une à mon tour. Je vous en supplie… je ne puis… faites votre question.
Après un moment de silence, Stavroguine commença :
— J’ai entendu dire que vous aviez ici une certaine influence sur Marie Timoféievna, qu’elle vous voyait et vous écoutait volontiers. Est-ce vrai ?
— Oui… elle m’écoutait… répondit Chatoff un peu troublé.
— Je compte d’ici à quelques jours rendre public mon mariage avec elle.
— Est-ce possible ? murmura Chatoff, la consternation peinte sur le visage.
— Dans quel sens l’entendez-vous ? Cette affaire ne souffrira aucune difficulté ; les témoins du mariage sont ici. Tout cela s’est fait à Pétersbourg dans les formes les plus régulières et les plus légales ; si la chose n’a pas été connue jusqu’à présent, c’est uniquement parce que les deux seuls témoins du mariage, Kiriloff et Pierre Verkhovensky, et enfin Lébiadkine lui-même (dont j’ai maintenant la satisfaction d’être le beau-frère), s’étaient engagés sur l’honneur à garder le silence.
— Je ne parlais pas de cela… Vous vous exprimez avec un tel calme… mais continuez ! Écoutez, est-ce qu’on ne vous a pas forcé à contracter ce mariage ?