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— Je me refusais à le croire. Et maintenant encore, malgré vos paroles, je ne le crois pas, pourtant… pourtant qui donc, avec ces imbéciles-là, peut répondre de quelque chose ! vociféra-t-il furieux en frappant du poing sur la table. — Je ne les crains pas ! J’ai rompu avec eux. Cet homme est passé quatre fois chez moi, et il m’a dit que je le pouvais… mais, ajouta-t-il en fixant les yeux sur Stavroguine, que savez-vous au juste ?

— Soyez tranquille, je ne vous tromperai pas, reprit assez froidement Nicolas Vsévolodovitch, comme un homme qui accomplit seulement un devoir. — Vous me demandez ce que je sais ? Je sais que vous êtes entré dans cette société à l’étranger, il y a quatre ans, avant qu’elle eût été reconstituée sur de nouvelles bases ; vous étiez alors à la veille de partir pour les États-Unis, et nous venions, je crois, d’avoir ensemble notre dernière conversation, celle dont il est si longuement question dans la lettre que vous m’avez écrite d’Amérique. À propos, pardonnez-moi de ne vous avoir pas répondu et de m’être borné…

— À un envoi d’argent, attendez, interrompit Chatoff qui prit vivement dans le tiroir de sa table un billet de banque couleur d’arc-en-ciel ; — tenez, voilà les cent roubles que vous m’avez envoyés ; sans vous je serai mort là-bas. Je ne vous aurais pas remboursé de sitôt, si votre mère ne m’était venue en aide. C’est elle qui m’a donné ces cent roubles il y a neuf mois pour soulager ma misère au moment où je relevais de maladie. Mais continuez, je vous prie…

Il étouffait.

— En Amérique, vos idées se sont modifiées, et, revenu en Suisse, vous avez voulu vous retirer de la société. Ils ne vous ont pas répondu, mais vous ont chargé de recevoir ici, en Russie, des mains de quelqu’un, un matériel typographique, et de le garder jusqu’au jour où un tiers viendrait chez vous de leur part pour en prendre livraison. Vous avez consenti, espérant ou ayant mis pour condition que ce serait leur dernière exigence, et qu’à l’avenir ils vous laisseraient tranquille.