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déjà tout trempé. Après avoir ouvert la porte, il tendit la clef à son maître.

— Si vous allez loin, je dois vous prévenir que je n’ai aucune confiance dans la populace d’ici ; c’est dans les impasses en particulier que les mauvaises rencontres sont à craindre, surtout de l’autre côté de l’eau, ne put s’empêcher de faire remarquer Alexis Égorovitch.

C’était un vieux serviteur qui avait été jadis le diadka[9] de Nicolas Vsévolodovitch ; homme sérieux et rigide, il aimait à entendre et à lire la parole de Dieu.

— Ne t’inquiète pas, Alexis Égorovitch.

— Dieu vous bénisse, monsieur, si toutefois vous ne projetez que de bonnes actions.

— Comment ? fit en s’arrêtant Nicolas Vsévolodovitch qui était déjà sorti du jardin.

Alexis Égorovitch renouvela d’une voix ferme le souhait qu’il venait de formuler. Jamais auparavant il ne se serait permis de tenir un tel langage devant son maître.

Nicolas Vsévolodovitch ferma la porte, mit la clef dans sa poche et s’engagea dans le péréoulok, où, à chaque pas, il enfonçait dans la boue jusqu’au-dessus de la cheville. À la fin il arriva à une rue pavée, longue et déserte. Il connaissait la ville comme ses cinq doigts, mais la rue de l’Épiphanie était encore loin. Il était plus de dix heures quand il s’arrêta devant la porte fermée de la vieille et sombre maison Philippoff. Au rez-de-chaussée, où plus personne n’habitait depuis le départ des Lébiadkine, les fenêtres étaient condamnées, mais on apercevait de la lumière dans la mezzanine, chez Chatoff. Comme il n’y avait pas de sonnette, Nicolas Vsévolodovitch frappa à la porte. Une petite fenêtre s’ouvrit, et Chatoff se pencha à la croisée pour regarder dans la rue. L’obscurité était telle que, pendant une minute, il ne put rien distinguer.

— C’est vous ? demanda-t-il tout à coup.