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— Non, il m’a ramené ici ce matin, nous sommes revenus ensemble, répondit Pierre Stépanovitch sans paraître remarquer aucunement l’agitation subite de son interlocuteur. — Tiens, j’ai fait tomber un livre, ajouta-t-il en se baissant pour ramasser un keepsake qu’il venait de renverser. — Les femmes de Balzac, avec des gravures. Je n’ai pas lu cela. Lembke aussi écrit des romans.

— Oui ? fit Nicolas Vsévolodovitch avec une apparence d’intérêt.

— Il écrit des romans russes, en secret, bien entendu. Julie Mikhaïlovna le sait et le lui permet. C’est un niais ; du reste, il a de la tenue, des manières parfaites, une irréprochable correction d’attitude. Voilà ce qu’il nous faudrait.

— Vous faites l’éloge de l’administration ?

— Certainement ! Il n’y a que cela de réussi en Russie… Allons, je me tais, adieu ; vous avez mauvaise mine.

— J’ai la fièvre.

— On s’en aperçoit, couchez-vous. À propos, il y a des skoptzi ici dans le district, ce sont des gens curieux… Du reste, nous en reparlerons plus tard. Allons, qu’est-ce que je vous dirai encore ? La fabrique des Chpigouline est intéressante ; elle occupe, comme vous le savez, cinq cents personnes ; il y a quinze ans qu’on ne l’a nettoyée, c’est un foyer d’épidémies. Les patrons sont millionnaires, et ils exploitent atrocement leurs ouvriers. Je vous assure que parmi ceux-ci plusieurs ont une idée de l’Internationale. Quoi ? Vous souriez ? Vous verrez vous-même, seulement donnez-moi un peu de temps, je ne vous en demande pas beaucoup pour vous montrer… pardon, je ne dirai plus rien, ne faites pas la moue. Allons, adieu. Tiens, mais j’oubliais le principal, ajouta Pierre Stépanovitch en revenant tout à coup sur ses pas, — on m’a dit tout à l’heure que notre malle était arrivée de Pétersbourg.

— Eh bien ? fit Nicolas Vsévolodovitch qui le regarda sans comprendre.

— Je veux dire votre malle, vos effets. C’est vrai ?

— Oui, on me l’a dit tantôt.