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us laisser voir tout ce ressort ; c’est surtout pour vous que je me suis tant remué : je vous tendais un piège et voulais vous compromettre. Je tenais principalement à savoir jusqu’à quel point vous aviez peur.

— Je serais curieux d’apprendre pourquoi maintenant vous démasquez ainsi vos batteries !

— Ne vous fâchez pas, ne vous fâchez pas, ne me regardez pas avec des yeux flamboyants… Du reste, vos yeux ne flamboient pas. Vous êtes curieux de savoir pourquoi j’ai ainsi démasqué mes batteries ? Mais justement parce que maintenant tout est changé, tout est fini, mort et enterré. J’ai tout d’un coup changé d’idée sur votre compte. À présent j’ai complètement renoncé à l’ancien procédé, je ne vous compromettrai plus jamais par ce moyen, il en faut un nouveau.

— Vous avez modifié votre tactique ?

— Il n’y a pas de tactique. Maintenant vous êtes en tout parfaitement libre, c’est-à-dire que vous pouvez à votre gré dire _oui_ ou _non_. Quant à _notre_ affaire, je n’en soufflerai pas mot avant que vous-même me l’ordonniez. Vous riez ? À votre aise ; je ris aussi. Mais maintenant je parle sérieusement, très sérieusement, quoique celui qui se presse ainsi soit sans doute un incapable, n’est-il pas vrai ? N’importe, va pour incapable, mais je parle sérieusement.

En effet, son ton était devenu tout autre, et une agitation particulière se remarquait en lui ; Nicolas Vsévolodovitch le regarda avec curiosité.

— Vous dites que vous avez changé d’idée sur moi ? demanda-t-il.

— J’ai changé d’idée sur vous à l’instant où, ayant reçu un soufflet de Chatoff, vous vous êtes croisé les mains derrière le dos. Assez, assez, je vous prie, ne m’interrogez pas, je ne dirai rien de plus.

Le visiteur se leva vivement en agitant les bras comme pour repousser les questions qu’il prévoyait, mais Nicolas Vsévolodovitch ne lui en fit aucune. Alors Pierre Stép