cette soif inextinguible de contraste, ce sombre fond de tableau, sur lequel il se détache comme un diamant, pour me servir encore de votre comparaison, Pierre Stépanovitch ! Et voilà qu’il rencontre là une créature maltraitée par tout le monde, une infirme à demi-folle qui, en même temps, possède peut-être les sentiments les plus nobles !…
— Hum ! oui, c’est possible.
— Et après cela vous vous étonnez qu’il ne se moque pas d’elle comme les autres ! Oh ! les gens ! Vous ne comprenez pas qu’il la défende contre ses insulteurs, qu’il l’entoure de respect « comme une marquise » (ce Kiriloff doit avoir une profonde connaissance des hommes, bien qu’il n’ait pas compris Nicolas) ! Si vous voulez, c’est justement ce contraste qui a fait le mal ; si la malheureuse s’était trouvée dans d’autres conditions, peut-être n’en serait- elle pas venue à imaginer un tel rêve. Une femme, une femme seule peut comprendre cela, Pierre Stépanovitch, et quel dommage que vous… c’est-à-dire, non pas que vous ne soyez pas une femme, mais du moins pour cette fois, pour comprendre !
— Je vous comprends, Barbara Pétrovna, soyez tranquille.
— Dites-moi, Nicolas devait-il, vraiment pour étouffer le rêve dans l’organisme de l’infortunée (pourquoi Barbara Pétrovna se servait-elle ici du mot organisme ? je me le demande), devait-il lui-même se moquer d’elle et la traiter comme le faisaient les employés ? Se peut-il que vous méconnaissiez la pitié supérieure qui a inspiré la réponse de Nicolas à Kiriloff : « Je ne me moque pas d’elle. » Grande, sainte réponse !
— _Sublime ! _ murmura en français Stépan Trophimovitch.
— Et remarquez qu’il est loin d’être aussi riche que vous le pensez ; je suis riche, moi, mais lui pas, et alors il ne recevait presque rien de moi.
— Je comprends, je comprends tout cela, Barbara Pétrovna, répondit avec un peu d’impatience Pierre Stépanovitch.
— Oh ! c’est mon caractère ! Je me reconnais dans Nicolas. Je me retrouve dans cette jeunesse susceptible de fougues