usages reçus. Mais il avait touché un endroit fort sensible, et Barbara Pétrovna était comme prise à l’hameçon. Je ne connaissais pas encore bien le caractère de cet homme, à plus forte raison ignorais-je ses desseins.
— On vous écoute, dit d’un ton plein de réserve Barbara Pétrovna qui s’en voulait un peu de sa condescendance.
— L’histoire n’est pas longue ; si vous voulez, ce n’est même pas, à proprement parler, une anecdote, commença Pierre Stépanovitch. - — Du reste, un romancier désoeuvré pourrait en tirer un roman. C’est une petite affaire assez intéressante, Prascovie Ivanovna, et je suis sûr qu’Élisabeth Nikolaïevna en écoutera le récit avec curiosité, parce qu’il s’y trouve plus d’un détail, je ne dis pas bizarre, mais très bizarre. Il y a cinq ans, à Pétersbourg, Nicolas Vsévolodovitch a connu ce monsieur, — tenez, ce même M. Lébiadkine qui est là bouche béante et qui tout à l’heure paraissait désireux de nous fausser compagnie. Excusez-moi, Barbara Pétrovna. Du reste, je ne vous conseille pas de lever le pied, monsieur l’ex-employé aux subsistances (vous voyez que je me rappelle qui vous êtes). Nicolas Vsévolodovitch et moi savons trop bien les agissements auxquels vous vous êtes livré ici, n’oubliez pas que vous devrez en rendre compte. Encore une fois, je vous demande pardon Barbara Pétrovna. Nicolas Vsévolodovitch appelait alors ce monsieur son Falstaff : ce nom doit servir à désigner un personnage burlesque dont tout le monde se moque et qui se laisse tourner en ridicule, pourvu qu’on lui donne de l’argent. Nicolas Vsévolodovitch menait dans ce temps-là à Pétersbourg une vie « ironique », si l’on peut ainsi parler, — je ne trouve pas d’autre terme pour la définir ; il ne faisait rien et se moquait de tout. Ce que je dis ne s’applique pas qu’au passé, Barbara Pétrovna. Ce Lébiadkine avait une sœur, — c’est cette même personne qui tout à l’heure était assise là. Le frère et la sœur, n’ayant ni feu ni lieu, logeaient un peu partout. Le premier, toujours vêtu de son ancien uniforme, errait sous les arcades de Gostinoï Dvor, demandait l’aumône aux passants qui avaient